Encore un concert d'anthologie à la Halle aux Grains. Celui que j'avais marqué d'une croix rouge sur le calendrier en priant bien fort pour ne pas avoir une réunion à l'autre bout de la France ce jour là.
En ouverture, le poème symphonique de Borodine "Dans les steppes de l'Asie Centrale". Une très jolie musique que j'écoutais quand j'étais petit et que je n'ai jamais pu trouver en CD depuis. Ça m'a bien fait plaisir de la réentendre.
Ensuite, nous avons eu droit au Concerto pour violoncelle de Dvorak (normalement il y a plein d'accents à son nom, mais je ne les ai pas sur mon clavier), sans doute le plus beau concerto pour cet instrument du répertoire, joué par Truls Mork, le grand violoncelliste norvégien (dont le nom s'écrit avec un "o" barré, que je n'ai pas non plus sur mon clavier...). Grand par la taille (normal pour un norvégien), par la prestance sur scène, et par la finesse et la subtilité de son jeu. Pas besoin d'écraser son archer, la musique en coule naturellement, sans forcer. Un grand moment de musique.
Avec la deuxième partie du concert, on touche à l'un des sommets de la musique symphonique, l'un des chef d'oeuvre absolu du XXème siècle : la Cinquième Symphonie de Dmitri Shostakovich. Oeuvre titanesque, complexe, pleine de sous entendus, de déchaînements torturés et de questionnements. Indissociable du contexte dans lequel elle fut composée, il ne faut cependant pas la réduire à une seule oeuvre de circonstance : avant tout, il s'agit de l'une des plus belles musique que je connaisse, révélatrice du talent incroyable d'un compositeur qu'on commence à peine à découvrir après le trentième anniversaire de sa mort, qui fut justement célébré il y a deux ans : cet homme là était bien le compositeur majeur du XXème siècle (avec Mahler, naturellement).
Mais du contexte de la symphonie, il faut quand même dire deux mots, d'autant que le dépliant de l'Orchestre du Capitole était un affreux raccourci des circonstances qui ont présidé à la création de ce chef d'oeuvre.
Il faut d'abord savoir qu'en 1934, Shostakovich, jeune compositeur au talent prometteur, avait composé son premier grand opéra "Lady Macbeth du district de Mtzensk" qui reçut un très bon accueil de la critique. Peu après, Staline vint y assister en personne. Le lendemain, un article de la Pravda condamnait sévèrement l'oeuvre comme "dégénérée". Du jour au lendemain, Shostakovich fut mis à l'index de l'Union des compositeurs soviétiques. En 1936, il retira sa Quatrième Symphonie, l'oeuvre la plus avant-gardiste qu'il avait composée jusqu'ici, du programme, alors que les répétitions étaient déjà fort avancées : alors désigné comme advesaire du régime, il risquait sa vie dans le cas - fort probable - où celle-ci aurait déplu aux tenants du "réalisme soviétique".
C'est en 1937, pendant la Grande Terreur, qu'il composa sa Cinquième Symphonie, en moins de 3 mois. Il n'était pas loin d'être arrêté en tant qu'"ennemi du peuple". Frénésie destinée à sauver sa peau ? Angoisse de mourir avant d'avoir livré ce qu'il avait de mieux ? Sans doute un peu des deux. La création eut lieu sous la baguette de Evgeni Mravinski, alors jeune chef de la Philharmonie de Leningrad, le meilleur orchestre du pays. Celui-ci prenait un risque en créant une oeuvre d'un compositeur publiquement mis à l'index.
Pour faire passer la pilule au régime, Ivan Solertinski, le musicologue de la Philharmonie et meilleur ami de Shostakovich, rédigea une programme dans lequel il présentait l'oeuvre comme "une réponse d'un artiste à des critiques justifiées", et comme une célébration, dans le paroxysme du finale, de la joie de vivre sous le régime soviétique. Ce sera là la version officielle - en aucun cas celle de Shostakovich. Curieusement, l'oeuvre fut accueillie triomphalement par ceux-là même qui l'avaient mis à l'index. Elle contribuera - et contribue encore aujourd'hui - à la renommée internationale du compositeur.
Le programme officiel décrivait le premier mouvement comme les tourments d'un homme culpabilisant de s'opposer au régime... On y ressent une tension extrême, allant du désespoir à la colère. Mais on n'est pas là au fond du gouffre comme dans la 8ème : ce qui ressort avant tout, c'est l'angoisse terrible inspirée par le régime. Il est sans doute vain d'y chercher un vrai programme. Mais le climat qu'exhale la musique est celui d'une profonde insécurité, qui devait être celle du compositeur, menacé à chaque instant par le régime.
L'Allegretto qui suit n'a rien d'allègre. Parodies de danse, rythmes grinçants, tout n'y est que joie feinte. Une course effrénée vers le néant qui fait penser aux plus grands scherzi de Mahler.
Le Largo est d'une intensité poignante. Entre un calme résigné et un paroxysme où les rythmes martelés aux percussions sont autant de pointes enfoncée dans une âme torturée. Il s'achève sur une note douce et apaisée, très ambiguë : apaisement de la conscience après avoir reconnu ses fautes ou résignation devant l'arbitraire.
Le finale. C'est lui qui permis toutes les justifications officielles. Jusqu'ici, l'oeuvre était sombre, lugubre : rien de l'optimisme officiel. Le dernier mouvement s'ouvre par une sonnerie de fanfare accompagnée aux timbales qui joueront le rôle le plus important. Marche triomphante pleine de certitude célébrant la réconciliation de l'artiste avec le régime. Mais comment voir de la joie dans cette musique ? Comment Staline put-il sincèrement croire à ce programme officiel ? C'est là un mystère. Peut être est-ce là le plus bel exemple du pouvoir transcendantal de la musique : pourquoi mettre à l'index une oeuvre aussi manifestement géniale, pourquoi vouloir la politiser ? Contentons nous de l'explication officielle, elle permet de laisser vivre ce chef d'oeuvre. En privé, Shostakovich donna la véritable signification de ce final ponctué de battements fortissimo de timbales : "c'est comme si l'on vous donnait des coups de marteau sur la tête on vous disant - tu dois être joyeux, tu dois être joyeux !". Tout est dit, non ?
dimanche 9 décembre 2007
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1 commentaire:
Je ne suis pas d'accord pour Mahler, mais oui pour Shostakovitch, à qui je donnerais volontiers pour compère, dans le top 2 des grands compositeurs du siècle passé, Olivier Messiaen, de qui il n'est pas trop mal parlé plus haut (ou plus bas?) sur ce blog. Et si l'un est la face nord de la Pique Longue du Vignemale et l'autre l'éperon de la pointe chausenque, le piton carré serait Alban Berg, irrattrappable (que de consonnes doublées.. est-ce naturel?) maître de l'opéra et du concerto pour violon...
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