Le week-end arrive, et avec lui le beau temps.
Au lieu d'aller enfin voir le granite mythique de l'Envers, nous allons à l'Aiguille du Moine. Il faut dire que nous sommes quatre pour l'occasion : Lionel et Xavier sont venus se joindre à nous. On choisit donc un objectif plus "montagne" qu'"escalade" : l'Arête Sud Intégrale du Moine. Pourquoi l'Intégrale et pas la classique ? Ben parce que ça a l'air plus classe (ça se révélera vrai). Bon, c'est beaucoup plus long et Lionel nous a montré le week-end précédent qu'il n'avait pas la caisse, mais ça passera quand même. Première erreur.
D'ailleurs, Lionel a oublié son casque et sa frontale. Pour le casque, on ne laisse pas passer, il va en louer un, mais pour la frontale... ça passera. deuxième erreur.
J'ai appelé le gardien du Couvercle : piolets / crampons inutiles pour l'Intégrale. La Mer de Glace, ça passe sans aussi : on les laisse à la voiture. Troisième erreur.
Après la foule du Montenvers, on se retrouve sur la Mer de Glace. Ça fait plaisir de refouler un "vrai" glacier, depuis le temps. Ce qui fait moins plaisir, c'est que j'ai pas du tout la forme. Je suis à la rue complet, pas de ressort. Décidément, le couvercle est maudit : quatrième fois que j'y monte et, c'est sûr, quatrième but en perspective. C'est donc passablement dépité - et même bien déprimé - que je prends pied sur la terrasse du refuge. Pas de bière pour moi - y'a vraiment rien à valider.
Ça n'empêche pas de profiter du panorama. Existe-t-il un endroit plus fabuleux que celui-ci ? La face Nord des Jorasses nous en met plein la vue : le Linceul est en conditions ! La Walker est toute enneigée. Été à l'envers... Toutes les cordées vont soit aux droites, soit aux courtes, soit à la Pointe Isabelle. Nous ne sommes que deux groupes pour le Moine qui devrait être le sommet le plus fréquenté à cette période. Le refuge est aussi bien fréquenté par les cristalliers. On les repère sans peine : ils sont crasseux, portent des vêtements des années 80 et rentrent à la nuit tombée... C'est assez intéressant de découvrir ce milieu complètement inconnu du grand public. Apparemment, il y a là aussi quelques conflits : un allemand s'est fait piller son "four" : tout son matériel et quelques beaux cristaux se sont envolés.
Dimanche matin, lever à 4h30. Comme d'habitude, c'est moi le premier levé. Petit déjeuner avalé rapidement. Bon signe : j'ai faim, malgré l'altitude. Malgré la nuit, on trouve à peu près le départ de la voie.
Je m'encorde avec Lionel. Xavier attaque par des terrasses, moi par la ligne de fissures qui mène à la brèche mentionnée par le topo. alors que celui-ci suggère une approche à pied jusqu'à la crèche, ça grimpe dans le IV sur du rocher bien licheneux. Enfin, on est au bon endroit. La traversée commence. Je double Xavier dans le premier passage dur. Lionel suit bien, nous progressons à Corde tendue sur des gendarmes qu'il faut escalader et désescalader.
On arrive à un premier rappel. On laisse notre corde pour Xavier et Matt pour accélérer les manips. L'escalade n'est jamais dure, mais c'est la super classe, sur le mythique rocher fauve de Chamonix. C'est même franchement jouissif. On grimpe en corde tendue, Lionel suit bien. On finit par laisser Matt et Xav devant après un petit épisode de noeuds entre les deux cordées. Encore un rappel, bien gazeux, dans lequel Lionel fait tomber son appareil photo... heureusement sans gravité : il atterrit dans un petit névé.
L'escalade se fait franchement plus facile. Assurage délicat, mais peu de risque de chute. Lionel suit, mais son rythme ralentit et ses chaussons neufs le font souffrir. Matt et Xavier prennent de l'avance.
On les rejoint au pied de la principale difficulté : une grande cheminée qui contourne le grand gendarme en forme de table versant Charpoua. Ils ont été ralentit par la cordée qui gravit l'Arête Sud Classique - ils ont dû débloquer la seconde de cordée dans une renfougne un peu délicate. J'en profite pour les dépasser. Le leader me demande si je peux leur monter la corde en haut du passage ! Je n'ose pas refuser, et je prends leur corde.
Je gravis une belle dülfer, puis me retrouve dans cette abominable renfougne qui doit être à peine cotée IV mais qui sera pour moi le passage le plus dur de la voie. J'arrive au relais quand Matt le quitte. Alors que j'installe le relais, Lionel tombe dans le passage clé... heureusement que je suis bien campé sur mes pieds. Il me faut ensuite assurer Lionel et la cordée qui nous suit, dont le leader me hurle de le prendre sec toutes les 10 secondes.
Lionel me rejoint. Je lui demande s'il pense que ça va aller, en tenant compte d'une descente complexe. Il me répond évasivement que ça devrait aller. A la limite, c'est peut être plus facile d'aller au sommet et de suivre la descente classique plutôt que d'improviser une descente non prévue.
Je continue : c'est facile. Dès le départ du relais, Lionel tombe dans la traversée facile ! Bon, ben va falloir faire avec. On va tirer des longueurs, bétonner l'assurage, ça le fera. Je ne vois même plus Matt et Xav... Grand moment de solitude.
Dernière difficulté : un petit mur fissuré. C'est le passage clé, 5c à équiper soi même.
Encore quelques ressauts, des fissures faciles. Toujours aussi beau, mais je n'en profite plus vraiment. J'arrive au sommet. Matt et Xav nous y attendent depuis près d'une heure ! Ils descendent aussitôt : Xav doit absolument rentrer à Zürich ce soir et aimerait bien prendre le dernier train au Montenvers. Et moi qui comptais sur eux pour aider Lionel dans la descente !
Ils sont déjà loin quand Lionel arrive, 20 minutes plus tard (nous tirons des longueurs de 25 m...). Pause bien méritée au sommet : nous n'avons quasiment rien mangé jusqu'ici. Conseil de guerre. Lionel est exténué. Il va falloir qu'il puise dans ses réserves pour se concentrer au maximum : pas question du moindre dérapage, ici c'est raide, y'a des barres partout, on est en montagne, pas sur un chemin.
Effectivement, c'est tout sauf facile, ça tient plus de la désescalade que de la marche. On est encordés à deux mètres, l'itinéraire n'est pas évident, et je dois encourager Lionel à chaque pas pour qu'il fasse bien attention.
Après trois ou quatre dérapages, je lui fais comprendre qu'au suivant j'appelle l'hélicoptère. L'argument semble porter.
La descente est interminable. On alterne désescalade, marche et petits rappels pour éviter les passages les plus difficiles. Heureusement, avant chaque passage de désescalade, on trouve un bloc ou un béquet pour assurer la cordée.
Après trois heures de descente, un dernier rappel de 50m nous dépose sur le glacier où Matt nous a attendus avec un piolet. Au pied du glacier, je m'autorise enfin à décompresser. Pendant près de 12h j'ai été complètement à fond nerveusement, concentré à chaque instant sur ma progression et sur la sécurité de la cordée. Pas un moment de répit. Pas vraiment le temps de profiter de cette course pourtant fabuleuse, sans doute l'une des plus belle que j'ai faite à ce jour.
Retour au refuge. Il est 18h30. Le temps de rentrer au Montenvers avant la nuit ? En ne traînant pas, ça devrait aller. Quatrième erreur. Lionel n'est vraiment pas en état de "ne pas traîner". On quitte le refuge à 19h, bien chargés.
Jusqu'au glacier, tout va bien. Lentement, mais bien. Matt a passé ses bâtons à Lionel, alors qu'il porte le sac le plus lourd. Une fois la moraine passée, nous prenons pied sur la glace. Et là, mauvaise surprise. Si pendant la journée, la glace fond en surface et permet de progresser aisément en chaussures, dès le soir, elle regèle et se transforme en patinoire. Pour moi, avec deux bâtons, ça va encore, mais pour Lionel et Matt, c'est plus délicat. Notre rythme, déjà bien poussif, s'en ressent. Pourtant, nous continuons, alors que se profilent devant nous les grandes crevasses qui défendent l'accès au Montenvers.
La nuit tombe. On sort les frontales. Les deux frontales, puisque Lionel a oublié la sienne. Forcément, ça ne contribue pas à aller plus vite. On arrive aux crevasses. On trouve assez facilement un passage en rive droite, là où nous étions passés à l'aller. Mais d'autres crevasses font suite. Il y a quelques passages délicats, et Lionel n'en peut vraiment plus - il glisse à chaque pas. On taille des marches - aussi grosses que possibles - avec le piolet pour franchir certains passages. On réussit à progresser vers la rive gauche. On arrive dans une zone plus facile entre deux immenses crevasses. Devant nous, une arête de glace semble livrer le passage. Il faudrait tailler beaucoup de marches. Impensable en toute sécurité vu l'état des troupes. Faut faire demi-tour. On se retrouve entre deux autres crevasses. Pas de passage. Il faudrait passer par le mur où on a taillé les marches.
On va s'arrêter là, ce n'est plus raisonnable. Il ne fait pas trop froid, en s'abritant du vent, on devrait pouvoir bivouaquer sans trop de mal. Et puis ça doit être une expérience sympa, non ? Bon, finalement, il y a une autre alternative, beaucoup moins glorieuse - encore qu'un bivouac sur la Mer de glace ne soit pas précisément glorieux : appeler le PGHM. Lionel décroche son portable. Ils nous expliquent que nous nous sommes trompés (vraiment ?), que le passage est en rive gauche. Je répond qu'on va essayer, mais que vu notre équipement -ben oui, on n'a pas l'ai cons sans crampons - et l'état de fatigue de Lionel, ça me paraît difficilement réalisable. En fait on n'essaye même pas. Un quart d'heure plus tard quand ils rappellent, ils se décident à envoyer deux secouristes.
La pleine lune s'est levée. sur l'arête de glace, deux yeux brillent : un petit renard vient nous narguer, tourne et retourne autour de nous. On finit nos provisions. Il ne fait pas trop froid, juste un vent désagréable. On tente un somme.
Et puis on voit des frontales sur le glacier : des cordées descendent. On leur fait signe - ils répondent et viennent vers nous : en fait, il y a parmi eux un gendarme du PGHM qui a contacté ses collègues et va gérer le "sauvetage". Sauvetage des plus simple : une simple paire de crampons fait l'affaire : un passage de 50 m, et c'est fini. Comme c'est rageant, comme c'est humiliant d'être dans cette situation. Les deux gendarmes venus du bas sont là. Forcément, on se prend la bonne vieille leçon de morale. Qu'y répondre, sinon, que oui, on aurait dû prendre les crampons, qu'on a eu tord, qu'on aurait dû rester au refuge surtout. Des fois il faut ravaler sa fierté. C'est d'autant plus frustrant quand on a mené une course comme celle d'aujourd'hui.
La descente s'arrête au bout de la piste des Mottets où nous attend le 4x4 du PGHM. Franchement, j'aurais préféré descendre à pieds ! Les virages en épingles sont tellement étroits qu'il doit d'y prendre à deux fois pour les prendre.
Finalement, on se fait déposer au parking à 2h30 du matin. Crevés. Surtout furieux d'être passés pour des quiches... et surtout d'avoir été des quiches.
Nuit réparatrice au Chamoniard Volant.
Petit morale de cette aventure :
1° Ne pas engager une descente foireuse alors qu'on est en sécurité au refuge, même si ça fait manquer une journée de boulot
2° Adapter la course au niveau des participants
3° Prendre des crampons sur un glacier, même s'il passe sans dans des conditions normales
4° Toujours prendre une frontale par personne
dimanche 26 août 2007
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